Portraits de centenaires

J’ai un ami photographe qui connaît mieux les gens dont il a fait le portrait que la plupart des journalistes qui les ont interrogés. Son secret: regarder et ne pas poser de questions. Alors les gens parlent. Et, même s’ils se taisent, leur visage parle pour eux. [Francis Dannemark, écrivain]

Célébrer un anniversaire, c'est souvent se rappeler la route parcourue pour mieux tracer le chemin à suivre. Plutôt que de revenir sur son passé, l'ANEMPA a préféré aller à la rencontre des bénéficiaires de son action longue d'un demi-siècle et raconter leurs histoires.

Réalisée à l'occasion des 50 ans de l'association, la série "Portraits de centenaires | Hier, aujourd’hui, il y a un demi-siècle" constitue une démarche mémorielle unique pour souligner la richesse de nos aîné·e·s et mettre en lumière leurs "faits d’armes", petits ou grands, hier et aujourd’hui.

Pour chaque mois de l'année 2022, un portrait en mots et en images à découvrir ci-dessous !


Textes: SG ANEMPA | Photos: Patrick Petermann

Portrait de Monsieur Micha Grin à venir.

 

Le labeur

"Je n’ai jamais eu une aussi belle chambre !" Désignant d’un geste ample son chez elle, Henriette Rod détaille son bonheur domestique: "Ici, on est au propre, on a toujours une bonne nourriture et on nous soigne de la tête aux pieds tous les jours !" Ces propos débordants de reconnaissance laissent imaginer la dure existence de celle qui a travaillé dès l’âge de 9 ans sur le domaine viticole familial, avant de quitter l’école à 14 ans pour aller en usine. Il émane de ce bout de femme née le 1er janvier 1919 une force de caractère forgé en traversant les rigueurs de la vie ouvrière sur plus d’un demi-siècle tout en en élevant une ribambelle d’enfants, les siens mais aussi souvent ceux de ses proches. Un fait marquant pour elle dans les années 1970 qui ont vu la naissance de l’ANEMPA ? Tous ses souvenirs sont faits de labeur. Et la centenaire de se faire pensive, le temps de quelques secondes : "Le travail, on y passe une vie, sans s’en rendre compte…" Avant de conclure par un sourire désarmant : "Mais je n’ai pas l’habitude de me plaindre, cela ne sert à rien !"

 

Découvrir le portrait complet de Madame Henriette Rod (-Neuhaus).

 

Les chansons

"Donnez-moi la main Mam’zelle et ne dite rien…" A l’évocation de ses hauts faits de chanteuse-pianiste "sans partition et une octave plus bas", Réjane Braillard entonne aussitôt le succès de Maurice Chevalier. Ses chansons mais aussi celles de Tino Rossi et d’Edith Piaf forment le répertoire qu'elle a intensément interprété dans les cafés-restaurants. Née le 20 avril 1922, la centenaire a œuvré en tant que sommelière-chansonnière - "j’ai fait jusqu’à CHF 30.00 de tringelts en un soir, cela faisait ma semaine" - ainsi que dans des concours ou en tant que bénévole en EMS: "J’ai fait chanter les résidents pendant plus de 20 ans !" Un fait marquant pour elle dans les années 1970 qui ont vu la naissance de l’ANEMPA ? Les souvenirs de cette faiseuse de liens - "j’ai toujours eu le contact facile et j’aime faire plaisir aux autres" - sont forcément en chansons. Les jukeboxes permettaient alors à Michel Sardou de déclarer "La Maladie d’amour", peu avant que Serge Lama ne célèbre sa "Femme, femme, femme", deux tubes du livret de la pétillante Réjane et qu’elle fredonne au quart de tour.

Découvrir le portrait complet de Madame Réjane Braillard (-Reymond).

 

Les gens d'abord

"On amenait tous les jours nos 20 litres de lait à l’usine. En été en vélo, en hiver en traîneau!" C’est par ce rituel que Claire Paratte décrit sa vie d’agricultrice, activité qu’elle exerçait avec son mari au bord du Doubs en plus de tenir le bistrot de La Boège où elle accueillait "sans chichi" des Parisiens venant pêcher dans la région. "Ce n’était pas le luxe auquel ils étaient habitués, mais ils revenaient l’année suivante!" Née le 19 septembre 1921, la centenaire parsème son récit de mots en patois jurassien et s’interrompt pour s’enquérir du nom de famille de ses interlocuteurs pour, ne sait-on jamais, identifier des filiations. Un fait marquant pour elle dans les années 1970 qui ont vu la naissance de l’ANEMPA? Les propos de Claire laissent percevoir son existence d’alors, simple mais pleine d’une forme d’essentiel résumée par le constat que lui adressent ses proches: "Tu n’as pas été riche, mais tu as eu une vie riche." Et à la question de savoir ce qui, de son métier d’agricultrice ou de cafetière-restauratrice lui plaisait le plus, elle rétorque du tac au tac: "A votre avis, qu’est-ce qui est plus intéressant, parler à des gens ou à des vaches?"

 

Découvrir le portrait complet de Madame Claire Paratte (-Bouille).

 

La simplicité du quotidien

Danser, c’était un loisir qui ne coûtait pas cher". Tour à tour vulnérable et force tranquille, Lucienne Fuchs dansait tous les samedis soirs au cercle de l’Union du Locle avec son mari, "un très bon danseur". Leurs virevoltes s’accordaient à tous les styles de musique - valse, marche, rock’n’roll, twist - souvent jouée à l’accordéon. Née le 24 août 1921, la centenaire évoque la frugalité d’une époque et l’arrivée d’une modernité matérialisée par les appareils ménagers. Elle ponctue de rires son histoire de vie. Une existence rythmée par le travail, d’abord dans l’horlogerie puis en tant que magasinière à la Galerie du Marché, avec comme point de rupture un accident de voiture la laissant veuve avec deux enfants à tout juste quarante ans. Un fait marquant pour elle dans les années 1970 qui ont vu la naissance de l’ANEMPA ? La centenaire n’en retient aucun en particulier dans un quotidien fait de loisirs simples. Une simplicité touchante d’authenticité, que Lucienne incarne pleinement lorsqu’elle conclut son récit : "J’ai passé un super moment à vous raconter".

Découvrir le portrait complet de Madame Lucienne Fuchs (-Perrelet).

 

Les carte piquée d'épingles

"On m’appelait la Voix du Printemps !" Née le 18  mars 1922, Madeleine Vaucher rit lorsqu’elle évoque ce qualificatif que lui a valu son activité de téléphoniste au sein du grand magasin chaux-de-fonnier, "Au Printemps". Une profession emblématique de la modernité d’avant-guerre exercée par celles qu’on appelait "les demoiselles du téléphone". Printanière, la centenaire l’est toujours dans sa longue robe à fleurs et dans ses propos qui relatent une vie de femme traversant les décennies du 20ème siècle. Un fait marquant pour elle dans les années 1970 qui ont vu la naissance de l’ANEMPA ? Madeleine n’a pas un souvenir précis, si ce n’est que la vie était rythmée par les envies de voyages qui motivaient les économies familiales : "Chaque mois, on mettait de côté CHF 50.00 pour les impôts et CHF 50.00 pour notre prochain voyage. La poussette a été longtemps notre seul quatre-roues. Nous avions une carte du monde avec des épingles piquées sur les destinations… Vous connaissez Angkor ? C’est merveilleux d’avoir pu y aller à mon âge !"

Découvrir le portrait complet de Madame Madeleine Vaucher.

 

Les suppositions

"Je m’occupais de tous mes poupons, il fallait être à son affaire." Née le 15 novembre 1920, Denise Evard s’anime lorsqu’elle évoque la nurserie où elle a fait ses premières armes en tant qu’infirmière fraîchement diplômée de l’Ecole La Source. Une formation et une profession qui la définissent largement. Mais celle que tout le monde appelle "Mademoiselle" ne détaille pas sa carrière de soignante et d’infirmière-cheffe: elle laisse les autres la raconter, tandis qu’elle déguste son chocolat chaud. Les anecdotes à propos de la centenaire, ancienne professionnelle vivant désormais dans un lieu de soins, ont une saveur particulière pour ceux qui l’entourent aujourd’hui. Un fait marquant pour elle dans les années 1970 qui ont vu la naissance de l’ANEMPA ? Denise nous laissera échafauder maintes suppositions. Certainement qu’elle se consacrait beaucoup à son métier. Terminant son chocolat, elle confirme: "On n’avait pas beaucoup de congés !" Lorsqu’elle s’en va, un sentiment d’inachevé flotte derrière elle, et cette certitude que les récits de nos aînés doivent être cueillis lorsqu’ils jaillissent.

Découvrir le portrait complet de Madame Denise Evard.

 

Les cartes perforées

"Je relirai ce que vous écrivez sur moi, je corrigerai si nécessaire." Marcel Bouverat montre un souci de l’exactitude acquis au cours de sa vie de comptable et de financier, déployée en particulier dans l’horlogerie. De la crise horlogère, il en évoque les restructurations et le chômage. Mais le centenaire né le 2 septembre 1921 raconte aussi volontiers des temps plus anciens: celui où voyager signifiait aller jusqu’à Bâle et où le salaire moyen dans l’industrie s’élevait à CHF 190; celui où posséder une voiture représentait un luxe, dont il aimait faire profiter ses amis. Marcel s’est cependant toujours inscrit dans le présent, animé par son intérêt pour la photographie ou pour la nouveauté. Un fait marquant pour lui dans les années 1970 qui ont vu la naissance de l’ANEMPA ? L’arrivée de l’informatique dans les entreprises ! Il en a vécu la genèse et le développement. "J’ai introduit les premières cartes perforées IBM pour le paiement des salaires, un sacré changement."

 

Découvrir le portrait complet de Monsieur Marcel Bouverat.

 

La belle voiture rouge

"J’ai toujours voulu être institutrice". Née le 11 août 1921, Susanne Gerber (-Tschanz) prononce cette évidence, le regard pétillant. De son riche parcours nourri par des convictions pacifistes qui l’on amenée à s’engager dans le Service civil international au sortir de la seconde guerre mondiale et par une activité d’enseignante marquée par l’évolution de la pédagogie, la centenaire ne dit pas grand-chose. Elle préfère revenir sur ses souvenirs d’enfance à Saint-Imier, berceau horloger. Un temps où les classes n’étaient pas mixtes, où les gauchers - comme elle - étaient forcés d’écrire de la main droite et qui voyait les filles uniquement en robe ou en jupe, même pour skier. Un fait marquant pour elle dans les années 1970 qui ont vu la naissance de l’ANEMPA ? L’apprentissage de la conduite ! Passer son permis à 50 ans lui a procuré une indépendance inédite: "Je pouvais aller voir ma sœur au Locle, je conduisais une belle voiture rouge."

 

Découvrir le portrait complet de Madame Susanne Gerber (-Tschanz)